Réduire la Fracture : C’est Jacques Chirac qui, le premier, en 1995, avait employé le terme de fracture. Ce mot assez pénible, d’origine médicale, concerne désormais les territoires. Fracture territoriale : ce terme recouvre tout un ensemble de divisions. Il faut réduire la fracture ! Les Gilets Jaunes nous y invitent avec force.
Mais où est la fracture ? Le rural se méfie de l’urbain. Les campagnes refusent parfois de se marier avec la ville au nom d’une défense de leur ruralité. Le discours pro-campagne cache souvent un discours anti-ville : La ville serait porteuse de tous les maux, à commencer souvent par son insécurité prétendue et l’accueil d’une population sociale à problèmes. Il est dur, chacun le sait, de monter des programmes de logements sociaux à la campagne. « Chez nous, il n’y a pas de « cassoce » ! » ai-je entendu pendant des vœux...
La campagne n’est pourtant pas à mettre en opposition avec la ville ou avec les métropoles. l’un se nourrit de l’autre. La ville n’est rien sans la campagne et ses agricultures vivrières. La campagne n’est rien sans les emplois de la ville et sans la dynamique économique des métropoles. Urbain et rural sont interdépendants.
A partir des années 75-80, beaucoup de campagnes se sont urbanisées, artificialisées et bétonnées au-delà du raisonnable, de plus en plus loin et déconnectées de leurs bourgs natifs. Les habitants de la campagne ne sont plus des agriculteurs mais des urbains qui ont fait le choix de quitter la ville-centre ou sa périphérie, le plus souvent à la recherche de calme. On les appelle « néo-ruraux ». Ils n’ont pas oublié qu’à la ville, il y a la culture, les services, les loisirs, la 4G, le haut débit, la fibre. Ils rêvent d’une campagne aussi bien dotée, à la fois rurale pour son calme et sa nature, et urbaine pour ses services. Les villes, de leur côté, rêvent d’une urbanité envahie de nature, développent des agricultures urbaines et verdissent leurs terrasses où poussent des tomates et où des ruches produisent un excellent miel. Ce qui réunit les deux espaces c’est la nature, le désir de proximité et de convivialité.
Dans les deux premiers débats du Président de la République avec les élus ruraux, sont revenues souvent les frustrations rurales : « les habitants sont bien chez nous mais ils se plaignent de l’isolement et du sous-équipement des campagnes ». La campagne peut-elle offrir la même proximité que la ville ? Quand les Gilets Jaunes se sont rassemblés sur les ronds-points, ils ont dit leur joie de se retrouver ensemble, entre gens de même conditions...
A la ville, tout est assez proche. A la campagne, tout est desserré et bien souvent, c’est la bagnole 20 fois par jour ! « La ville est invivable à cause de la voiture. La campagne est invivable sans la voiture » dit-on à juste titre. Alors, il est normal que le mouvement des GJ soit né du problème de la mobilité et de son coût : taxes sur les hydrocarbures, péages d’autoroute, coût des voitures propres, contrôle technique, vitesses limites, radar... La mobilité est subie et génératrice d’insatisfactions dans cette « France périphérique » qui peine à remplir son réservoir. Une chose est sûre : il n’y aura pas de sitôt une ligne de bus ou de train rentable dans les secteurs les plus éloignés. Alors quelles solutions ? Parmi les pistes émergentes raisonnables – c’est à dire génératrice d’économies en ces temps de frugalité imposée – j’en vois trois :
La première est, à coup sûr, dans le renforcement du télé-travail. La France a un énorme retard sur ce sujet puisque son taux est au tiers de l’Europe du Nord. Mais cela ne concerne généralement qu’une part des emplois tertiaires.
La deuxième consiste à trouver des mobilités moins coûteuses. C’est du côté du mode coopératif et doux qu’on trouvera des solutions : covoiturage, auto-stop organisé, pistes cyclables adossées aux axes majeurs, navettes TER ou mini-bus électriques à l’hydrogène...
Enfin, il convient de « raccourcir les petites communes ». Il est frappant de constater que dans les bourgs et les villages, les habitants prennent leur voiture pour un oui ou pour un non. Une commune « circuit court » est celle qui permet à ses habitants de se rendre à pied ou à vélo, en toute sécurité, aux écoles, aux commerces et au centre. Chacun y trouve son compte : l’usager moins stressé, en meilleure forme, et le commerçant, conforté, fidélisé.
Nul doute que le citoyen sortira gagnant de ces nouvelles mobilités rurales, autant que Dame Nature, puisqu’elles vont toutes dans le sens de la réduction de CO2. Mais n’oublions pas que les revendications touchent aussi à des sujets plus larges : la pauvreté et l’équité.
Philippe Druon,
Président du CPIE Villes de l'Artois